Lettre expliquant le départ du Coordinateur du comité BAILS

Lettre expliquant le départ du Coordinateur du comité BAILS

Montréal, le 25 mars 2015

Aux membres du comité BAILS

Bonjour,
C’est le cœur gros que je vous annonce mon départ. Il vient un temps où l’on doit faire des choix et prendre des décisions importantes pour sa vie, malheureusement ces choix m’éloignent du comité BAILS. Après plus de 8 ans passés au service de cet organisme, il devenait important pour moi de reconnaître que je n’étais plus l’ombre de moi-même. Le dynamisme n’y était plus, la routine s’était figée et la motivation se promenait dans des montagnes russes. Je dois dire, et je ne le dis pas pour vous flatter, mais dans les derniers mois, c’est lorsque j’étais avec vous les membres, les militants et les militantes du comité BAILS que je reprenais goût à mon travail. Malheureusement, cet emploi implique aussi de longues heures de bureau et de tâches administratives et c’est là que la motivation disparaissait. La mise à pied de Chloé et de Delphine a été difficile pour moi, le retour au travail en solitaire m’a beaucoup affecté.

Il est important, à mes yeux, de savoir se retirer le temps venu, j’aime mieux partir la tête haute et fier de tous ce que nous avons réalisé, plutôt que de quitter après un long moment de léthargie. Je pars donc, heureux du temps passé à vos côtés et j’assume l’ensemble de mes actions et de nos réalisations. Nous réussi à développer au fil des ans un véritable rapport de force en faveur du logement social dans le quartier et aussi contre la gentrification et il ne faut pas baisser les bras car les défis à venir sont énormes.

En 2007, le comité BAILS m’engageait au poste d’organisateur communautaire, et l’on me confiait, entre autre chose, le mandat de développer la mobilisation. À ce moment, nos soupers de mobilisation réunissaient 5 ou 6 personnes en moyenne, notre force de mobilisation était assez limitée. Que ce soit comme organisateur communautaire ou comme coordonnateur, j’ai toujours accordé beaucoup d’importance à développer une force de mobilisation et à accroître notre force. Le comité BAILS est un organisme de base et ce sont ses membres qui en sont le cœur. J’ai toujours dit que le coordonnateur ou la coordonnatrice est absolument insignifiant dans le quartier s’il ou elle ne peut compter sur une force collective qui, elle seule, peut apporter des résultats positifs.

Ce n’est pas par fausse modestie que j’insiste sur votre rôle central, mais bien parce que j’y crois, que j’y ai toujours cru et que j’y croirai toujours. Même si ça n’a pas toujours été facile, même si parfois j’étais frustré ou parfois triste du peu d’implication, je dois reconnaître aujourd’hui que vous avez été là en nombre important au moment où ça comptait le plus. Il faut que vous preniez conscience que vous avez, dans les dernières années, développé un réseau, développé une solidarité et que vous avez, entre vos mains, le pouvoir de maintenir le comité BAILS là où il est maintenant. La personne qui me remplacera aura besoin de vous, de votre soutien, de votre solidarité et de votre mobilisation pour lui permettre de réaliser de grandes choses à la hauteur de ce que le comité BAILS est capable de faire.

Au cours de ses 21 années d’existence, le comité BAILS a laissé sa trace dans le quartier. Que l’on pense aux terrains Lavo où, à l’origine, un développement résidentiel ne comptant aucun logement social était projeté. Grâce à la lutte que avez mené aux côtés de Jean-Claude Laporte, aujourd’hui on y trouve une grande coopérative d’habitation et un OBNL, près de 120 logements sociaux au lieu de 0!

Dans les 8 dernières années, nous avons su accroître notre force de frappe et, ainsi, les résultats. Permettez-moi de vous faire une liste de quelques réalisations ou victoires dont vous avez été au cœur.

Le comité BAILS une force dans Hochelaga-Maisonneuve :
1- En 2007, nous avons créé la coalition Heille! On ne demande pas la lune! Afin de réunir les groupes de défense de droits du quartier. Cette coalition qui s’est réunie pendant un an ou plus, est ensuite devenu le comité de défense collective des droits de La table de quartier. Aujourd’hui c’est ce comité, qui mène la campagne Hochelaga réagit à l’austérité! D’ailleurs le comité BAILS s’est illustré à de multiples reprises dans l’évolution de la Table de quartier, principalement en 2011 au moment de la fusion des tables qui ont mené à sa création.
2- En 2009, le comité BAILS fait de la revitalisation populaire du sud-ouest du quartier sa priorité. La Table de quartier qui réunit les organismes, décide d’en faire également sa priorité. Après que nous ayons rencontré le maire de l’arrondissement, Réal Ménard, celui-ci décide de donner suite aux demandes du comité BAILS et initie la RUI (zone de revitalisation urbaine intégrée) qui profite aujourd’hui, de plusieurs centaines de milliers de dollars pour financer des mesures de revitalisation. Le point de vue du communautaire y est d’ailleurs largement véhiculée et le comité BAILS s’assure que ces sommes ne serviront pas à favoriser la gentrification.
3- En 2009, un groupe de résidentEs du quartier se mobilisent pour contrer le projet de coopérative Le Vitrail (aujourd’hui devenu la coopérative Petits et grands). Ces résidentEs ont en leur mains une pétition de plus de 400 signatures contre la coopérative qu’ils et elles comptent déposer une semaine plus tard à la commission scolaire. Le comité BAILS décide de répliquer et se donne une semaine pour récolter 400 signatures ou plus dans une pétition en faveur de la coopérative. En une semaine, vous les membres avez réussi à réunir près de 2000 signatures. Dans les semaines qui ont suivi, nous nous sommes mobilisé-e-s à plusieurs reprises et aujourd’hui, les travaux de construction de cette coopérative d’une quarantaine de logements sont débutés.
4- Dans la foulée de notre campagne de revitalisation, nous avons développé une stratégie de socialisation d’immeuble. En 2009, nous avions entamé des démarches autour d’un immeuble situé au coin des rues Préfontaine et Ste-Catherine. Bien que le projet ait échoué, grâce à nos démarches, le bar a dû fermé permettant ainsi l’ouverture d’un CPE juste de l’autre côté de l’intersection. Indirectement, c’est le comité BAILS qui a permis l’ouverture de ce CPE. En 2012, nos démarches de socialisation ont permis la construction de 14 chambres pour femmes en logement social au coin des rues Ste-Catherine et Jeanne D’Arc. L’immeuble abritait auparavant une maison de chambre complètement insalubre.
5- En 2009, suite à des discussions menées avec nos amiEs d’Entraide logement et le maire Réal Ménard, nous avons obtenu la création d’une table logement de l’arrondissement. C’est une nouveauté que le maire a institué afin que les fonctionnaires municipaux et les groupes logement partagent les informations et leurs revendications afin d’améliorer les politiques et services. Grâce aux pressions coordonnées du comité BAILS, d’Entraide logement et d’Infologis de l’est, le maire a ordonné la mise en marche de l’inspectorat systématique des logements. À ce jour, des centaines de logements ont été visités et inspectés et de nombreux propriétaires ont dû faire des travaux nécessaires.
6- En 2010, 2011 et 2012, le comité BAILS se lance dans l’idée folle d’organiser un festival d’une journée en plein air. Plusieurs tentent de nous en dissuader et la tâche semble impossible à faire pour un petit organisme sous-financé comme le nôtre. Qu’à cela ne tienne, les membres et amiEs du comité BAILS n’ont pas dit leur dernier mot. Un comité d’organisation de militantEs se met en place, des artistes acceptent de participer bénévolement et une centaine de membres et amiEs se mobilisent afin de faire les tâches nécessaires à la réussite du projet. Résultat, trois éditions réussies haut la main et plusieurs milliers de personnes qui ont pu profiter du spectacle.
7- En 2010, 2011 et 2012, le comité BAILS propose à la table de quartier de tenir une opération populaire d’aménagement et participe à l’organisation de l’OPA et aux différentes activités qui l’entoure. Aujourd’hui, les groupes communautaires peuvent bénéficier du travail accompli par les participantEs de l’OPA. Le rapport a été présenté aux éluEs et fonctionnaires et certaines conclusions de l’OPA sont en discussions et certains résultats ont été obtenus ou sont à venir.
8- En 2012, pendant le Printemps érable, nous avons tenté de faire vivre cette lutte populaire au sein du quartier. Des manifs de quartier ont été organisées et vous avez été nombreux et nombreuses à prendre part au mouvement des casseroles pour souligner votre ras-le-bol des politiques du gouvernement Charest.
9- En 2013 et 2014, nous avons mené d’importantes luttes contre la gentrification. Bien que nous ayons perdu la bataille des Lofts Moreau, cette mobilisation a permis de montrer notre capacité à se mobiliser largement et efficacement. L’arrondissement et le propriétaire de l’immeuble ont été impressionné par cette mobilisation et la couverture médiatique que nous avons été capable d’obtenir. Lors de la saga des briques, c’est sans conteste que nous avons réussi à contrer les discours réducteurs et sensationnalistes des éluEs du quartier et d’élever le débat aux enjeux de gentrification. Notre mobilisation a permis, entre autre chose, la création d’un comité d’étude. Un an plus tard (décembre 2014), nous nous sommes mobilisés à nouveau pour dénoncer la détérioration des conditions de vie des ménages locataires à cause de la gentrification et du manque de logements sociaux. Plusieurs d’entre vous avez participé à une action symbolique où nous avons été porter de fausses briques pour dénoncer l’inaction des autorités et le fait qu’ils sont plus pressés d’agir lorsqu’il y a des briques en jeu! Là encore, nous avons pu profiter d’une bonne couverture. Le comité BAILS a su faire connaître les enjeux liés à la gentrification du quartier et notre crédibilité sur cette question est très importante.

Il ne s’agit pas ici de dresser une liste exhaustive, simplement d’illustrer à quel point vos actions et votre participation aux activités du comité BAILS ont permis d’atteindre des résultats tangibles. Une intervenante d’un autre organisme disait en 2011 à propos de notre dynamisme et de nos actions et activités, «Avant, on entendait jamais parler du comité BAILS, aujourd’hui on a l’impression qu’il n’y a que vous dans le quartier!» Cette phrase résonne encore dans ma tête et c’est le résultat de votre mobilisation et de votre solidarité.

Je n’ai pas parlé de l’impact que vous avez lorsque vous vous mobilisez avec le FRAPRU. Si le logement social existe encore aujourd’hui, c’est en grande partie le fait de locataires qui, tout comme vous, ont compris que c’est par la solidarité et l’action qu’on va réussir à faire valoir notre droit au logement.

Par cette lettre, je ne veux pas simplement vous annoncer mon départ, je veux vous faire part de mon souhait de vous voir maintenir cette implication, de vous voir maintenir cette solidarité et vous voir développer avec la personne qui me remplacera une lutte pour le droit au logement qui va apporter des résultats palpables. Le défi que vous avez aujourd’hui ce n’est pas de me remplacer, c’est de permettre à la prochaine personne d’être encore plus efficace dans son travail et cela, c’est seulement vous qui pouvez le faire.

Bravo à vous mes amiEs.
Longue vie au comité BAILS!
Longue vie au logement social!
Vive Hochelaga-Maisonneuve!
Fuck HOMA!
«Pour le droit… AU LOGEMENT»

Solidairement,
Jonathan Aspireault-Massé
Comité BAILS, Anciennement Coordonnateur

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